Dans le cadre de l’Itinéraire des Photographes Voyageurs, l’association bordelaise Act’image expose le travail de la photographe Emmanuelle Coqueray. Rendez-vous donné du 1er au 30 avril pour découvrir la série Terrain vague.
Act’Image : Votre parcours photographique commence…
Emmanuelle Coqueray : Il y a une dizaine d’années, avec mon entrée dans le monde des arts plastiques. Étudiante à l’École des beaux-arts de Lyon, j’ai commencé à utiliser la photographie pour prendre des notes en marge de mes autres travaux. Petit à petit, ces notes sont devenues plus importantes et la photographie a pris le pas sur les autres pratiques (notamment le dessin). J’ai alors décidé de passer le concours pour rentrer à l’École nationale de la photographie à Arles. C’est là que j’ai réellement commencé à développer mon travail photographique.
Act’Image : Quel a été votre premier appareil ?
Emmanuelle Coqueray : Je ne pourrais pas vous dire. C’était un 24×36 acheté dans une brocante. J’en ai, en fait, très peu de souvenirs. C’est à l’école d’Arles que j’ai approfondi mes connaissances techniques. J’ai commencé à utiliser des appareils moyens formats (comme le Mamiya RZ 67 ou le Mamiya 7), puis une chambre folding 4×5 inches (la Toyo 45 cf) qui a fortement influencé ma façon de travailler.
Act’Image : Comment travaillez-vous aujourd’hui et quelle place occupe le numérique dans votre pratique ?
Emmanuelle Coqueray : Je commence souvent à travailler sans plan arrêté. C’est une façon de procéder très intuitive et c’est au fur et à mesure que les choses se précisent. Le mouvement est très important pour moi, c’est une forme de concentration. Je me déplace en voiture, en vélo, à pied, et dans les grandes villes j’utilise aussi les transports en commun. Je prends effectivement beaucoup de notes avec un petit appareil numérique avant de réaliser mes prises de vue avec une chambre « 4×5 » inches. J’aime prendre mon temps pour réaliser une image, trouver un point de vue, attendre la bonne lumière et revenir plusieurs fois sur les lieux s’il le faut. Le travail à la chambre nécessite une certaine préparation, c’est un matériel « lourd » sur trépied et qui force l’attention : à travers le dépoli on est déjà devant une image. J’essaie de rassembler à l’intérieur de ce cadre le plus de détails possibles.
Act’Image : Pouvez-vous me parler de votre démarche ?
Emmanuelle Coqueray : Je cherche à réaliser des images où l’œil circule, à construire des liens, des agencements entre les choses, quitte à entretenir un flou sur le sujet. Il s’agit la plupart du temps de faire basculer une « réalité sociale » vers une « réalité poétique » qui est celle de la représentation. J’abstrais volontairement les caractéristiques locales, géographiques des lieux que je choisis, ne cherchant pas ici à décrire les particularités d’une ville ou un quartier. En ce sens les images de « Terrain Vague » ne sont pas directement documentaires même si elles restent très ancrées dans un contexte social spécifique, celui de la périphérie des villes. Ce qui m’importe, c’est de créer des échos entre les différents éléments qui composent mon image (architecture, objets, arbres et végétaux…), de construire des résonances entre plusieurs situations (par exemple violence sociale et désastre écologique…).
Act’Image : Comment approchez vous ces lieux ?
Emmanuelle Coqueray : Je n’ai pas de méthode précise. Ce sont, soit des endroits que je connais déjà, soit des endroits que je découvre lors d’un voyage ou tout simplement en prenant le bus à la recherche d’une image. Souvent la photographie devient un prétexte qui me pousse à découvrir des lieux où je ne me rendrais pas si ce n’est pour y faire des images.
Act’Image : Dans l’inconscient collectif terrain vague rime souvent avec terrain mort, mais les vôtres sont très vivants…
Emmanuelle Coqueray : En effet, les espaces que je photographie sont changeants, ce sont des espaces en mutation. Je photographie des interstices dans la ville, des espaces où coexistent des éléments hétérogènes. Je suis à la recherche de tensions lisibles dans le paysage. Ces lieux sont choisis pour leur potentiel à révéler les traces, les indices d’une situation passé ou à venir.
Act’Image : Retournez-vous, des années plus tard, sur ces terrains vagues ?
Emmanuelle Coqueray : Cela m’arrive, essentiellement à Lyon où je vis. Certaines de mes images ont été réalisées aux mêmes endroits à plusieurs mois d’intervalle. Elles sont du coup très différentes car effectivement tout a changé.
Act’Image : Sommes-nous face à des terrains vagues du monde entier ?
Emmanuelle Coqueray : Effectivement ce travail est composé de photographies provenant de différents pays, mais je n’ai aucune intention de dresser un inventaire. Je précise d’ailleurs que toutes les images ne nous montrent pas un terrain vague à proprement parler. La notion de terrain vague est par essence une notion flottante qui laisse le champs libre à différentes éventualités. Le choix de ce terme fait donc aussi écho à la volonté de construire un ensemble aux frontières poreuses mettant en vis à vis des images de natures et d’origines différentes.
Act’Image : Les humains sont toujours absents ?
Emmanuelle Coqueray : Disons qu’ils sont absents physiquement mais la présence humaine est très marquée dans les images. Cette présence/absence est même en quelque sorte l’objet du travail et se matérialise à travers les choses, l’architecture ou l’impact de l’homme sur la nature. Concrètement je photographie en général tôt le matin ou tard le soir lorsque les lieux sont vides. L’attention portée à la qualité de la lumière est également importante dans ce processus. Je privilégie des lumières étales, sans ombres, enveloppantes renforçant ainsi « la présence des choses ».
Act’Image : L’écrivain Arno Bertina (« Enorme » aux éditions Thierry Magnier, « Je suis une aventure » aux éditions Verticales, « Numéro d’écrou 362573 » aux éditions Le Bec en l’Air…) a posé des mots sur vos photos. Comment s’est passé cette collaboration ?
Emmanuelle Coqueray : En 2012, j’ai demandé à Arno Bertina (romancier) d’écrire le texte de présentation d’un catalogue d’exposition édité par l’Espace d’arts plastiques et la ville de Vénissieux (69). Dans ce cadre là, on ne peut pas réellement parler d’une collaboration, mais ce croisement de pratiques et d’univers me semblait intéressant. Le regard d’un artiste sur le travail d’un autre artiste est une chose qui me touche beaucoup.
Act’Image : Quelles sont vos influences? Un maître de la photo en particulier?
Emmanuelle Coqueray : Il y a énormément de choses qui me nourrissent et pas seulement en photographie. D’autres formes d’arts comptent pour moi, la peinture, la littérature, en cinéma je reviens régulièrement vers les films de Pier Paolo Pasolini et ceux d’Andreï Tarkovski.
Act’Image : De la prise de vue au tirage, votre pratique de la photographie a-t-elle évolué techniquement parlant ?
Emmanuelle Coqueray : Aujourd’hui, je réalise l’essentiel de mes prises de vue en argentique puis je scanne moi-même mes négatifs avant de faire tirer mes images selon un procédé lambda (tirage argentique d’après fichier numérique). Ce processus me permet de contrôler le résultat final, un négatif pouvant être interprété de différentes manières. A ce moment-là, j’effectue un gros travail sur la couleur. Je cherche avant tout à rendre compte de la matérialité des choses (la terre boueuse, les écorces brulées, le ciel brumeux…), d’autant que la photographie à la chambre apporte un « piqué », une netteté évidente.
Act’Image : Vivez-vous aujourd’hui de votre activité de photographe, votre travail est-il présenté dans une galerie ?
Emmanuelle Coqueray : Même s’il m’arrive de vendre des images, ce n’est pas suffisant pour vivre de la photographie. Actuellement je partage mon temps entre la poursuite de mon travail photographique et des actions pédagogiques que je mène autour de la photographie et de l’art contemporain. Mon travail n’est pas, à ce jour, représenté par une galerie. Il me semble que l’engagement entre un artiste et un/une galeriste doit provenir d’une rencontre tant humaine qu’artistique et bien sûr ce serait pour moi une aide précieuse.
Propos recueillis par Eugénie Baccot