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Photographe féru de livres photo, grand voyageur, Jean-Christophe Béchet écrit aussi beaucoup sur le medium photographique à l’instar de ce traité Petite philosophie pratique de la prise de vue photographique (éditions Créaphis, 2014). Ancien rédacteur en chef de Réponses Photo, il tient une chronique photo à Fisheye et anime régulièrement des workshops. C’est pour cette raison qu’il est venu à Mérignac et que nous en avons profité pour le rencontrer.

« Je suis un romancier qui utilise l’image »

Act’Image : Que représente pour vous la photographie ?
Jean-Christophe Béchet : Même si cela peut sembler galvaudé, moi j’aime bien cette idée que l’appareil photo est un moyen d’ordonner le chaos, de lui donner un sens. La photographie, c’est être témoin du réel et mettre en forme cette réalité. Je me passionne pour ce dialogue permanent depuis 30 ans. C’est aussi ma façon d’être actif dans le monde, de participer à son spectacle et d’essayer de le comprendre.

Act’Image : Depuis vos débuts, vous publiez vos images. Vous entretenez un rapport viscéral avec le livre. Pourquoi ?
Jean-Christophe Béchet : Il y a deux grandes écoles en fait . Certains photographes voient la photographie comme une oeuvre, une pièce qui sera exposée et pour laquelle le livre tient du catalogue d’exposition. Moi, je fais partie de l’autre catégorie des photographes, comme William Klein ou certains collectifs japonais qui pensent d’abord au livre. Pour moi, une photo qui n’est pas sur papier n’existe pas. Elle reste une image. Dans son histoire et dans son usage, la photo est intimement liée au papier. Ma démarche est plus celle d’un écrivain. Même si on connait des éléments de la vie d’un écrivain, ce qu’il en reste, ce sont ses livres. Assez logiquement dans ma pratique et dans ce qui me convient le mieux, je suis d’abord allé vers le livre avec des carnets intimes de 48 pages puis vers des livres plus ambitieux. C’était assez logique. À un moment donné, la conception d’un livre permet de faire une sélection, de fouiller dans la production et d’en extraire le plus juste pour pouvoir le partager avec autrui. C’est aussi comme ça que j’ai appris la photo, par le livre. J’adore ça. J’y baigne ! J’ai plusieurs milliers d’ouvrages autour de moi.

Act’Image : Comment est né Noir vertical ?
J.-C. Béchet : Dans mon travail, j’essaie souvent de jouer sur un double niveau. Je photographie toujours le réel. Je ne crée pas de mise en scène. J’aime capter des choses qui existent comme un reporter mais en même temps, j’ai toujours à coeur de rappeler que la photographie n’est pas la réalité. Et j’aime bien jouer là-dessus comme si je disais : n’oubliez pas que la photographie est une façon spécifique de montrer des choses. Je ne pourrais pas montrer les choses autrement et
seulement que par ce medium. Certains aujourd’hui sont très bons dans l’hybridation, le croisement des arts. Moi, je creuse dans une seule pratique. Avec Noir vertical, j’ai eu envie de construire une sorte de poème, une séquence avec deux contraintes. J’ai voulu jouer avec cette idée qu’on vit une époque où l’image en couleur est partout mais que la photographie reste intimement liée avec le noir et blanc. Personne ne voit le monde en noir et blanc. Au début de la photographie, le noir et blanc avait surtout à voir avec la question financière, le coût. Aujourd’hui, bien que la couleur soit devenue très accessible, le noir et blanc reste vivant. L’autre spécificité de la photographie, c’est le cadrage vertical. Dans cet ouvrage, on passe du Chili à l’Algérie en passant par la France. Et au final, peu importe le lieu, il n’est pas important. Ce qui l’est, c’est la façon de le regarder et de le mettre en forme.

Act’Image : Vous ne pratiquez peut-être pas l’hybridation des arts mais votre travail mêle différentes techniques, différentes productions parfois. Pourquoi ?
J.-C. Béchet : J’ai l’habitude de dire qu’il faut trouver le bon outil pour un projet. Aujourd’hui, c’est vrai qu’il y a beaucoup de photographes et que pour se distinguer du lot, il faut créer une approche spécifique. Moi, je n’ai pas envie d’être dogmatique, de me laisser enfermer. C’est important d’expérimenter, de pousser un type d’appareil ou une pratique car j’aime avant tout la matière, l’épaisseur, le grain de la photographie. C’est en ça pour moi qu’elle se distingue. C’est aussi pour ça d’ailleurs que je suis attentif aux accidents.

Act’Image : Vous avez d’ailleurs publié un livre composé d’une série d’accidents. Qu’est-ce qui vous intéresse dans l’accident ?
J.-C. Béchet : Quand on fait des photos en argentique, on doit attendre avant de voir ce que ça donne et au final, il y a des ratés. Dans 90% des cas, ces ratés ne disent rien et puis dans les 10% restant, il y a quelque chose de typiquement humain qui s’exprime. Pour cueillir le hasard, il faut être en état de disponibilité. Beaucoup d’artistes et de scientifiques ont fait des découvertes grâce au hasard. Il suffit d’une réaction chimique là ou ne s’y attendait pas, d’une éprouvette qui se casse et de l’erreur, naissent une avancée et un progrès. Aujourd’hui la prise de pouvoir technologique est inhumaine. On fabrique des appareils photo qui déclenchent avant même qu’on ait besoin de déclencher, qui n’ont pas besoin de lumière… L’accident est sous contrôle ; les résultats sont léchés. Ben moi, je préfère une ratatouille mijotée et un peu carbonisée qu’une ratatouille industrielle qui sort du congélateur. La photo c’est aussi ça : c’est de la tambouille. C’est émouvant un vieux tirage, un négatif rayé. J’ai conçu un livre avec des accidents, pas pour faire mon intéressant mais en réaction contre cette perfection qui ne me plait pas beaucoup. La fragilité caractérise aussi la photographie. En jazz ou en free jazz, la fausse note n’est pas grave.

Act’Image : Quelle est la part de reportage dans votre travail ?
J.-C. Béchet : Dans « Les Américains », Robert Frank est allé vers les autres, a parcouru son pays mais il a donné son point de vue. Je revendique une parfaite subjectivité. Mon travail est à la croisée du reportage et du journal intime. En fait, je me sens plus à l’aise et plus dans mon univers en me pensant comme un romancier qui utilise l’image. Par exemple à Tokyo, je me suis senti un étranger. Je ne comprenais rien à cette ville. J’étais perdu et fasciné par ses signes. J’ai voulu en faire un livre pour raconter ce voyage-là. A Marseille, au contraire, j’ai pris le parti de photographier des lieux familiers que je connais depuis ma jeunesse.

Act’Image : Est-ce que vous continuez à photographier votre ville natale ?
J.-C. Béchet : Non, car à un moment donné, il y a un point final, comme dans un roman. C’est le livre qui permet de dire stop. Et puis la photo, pour moi, c’est être curieux d’aller voir le monde.

Act’Image : Quels sont vos photographes préférés ?
J.-C. Béchet : J’aime beaucoup les photographes américains . Oui, beaucoup… Robert Frank, par exemple, Walker Evans et puis de moins connus mais tout aussi fondamentaux pour moi, Harry Callahan et Roy DeCarava. Mon photographe de chevet, c’est Lee Friedlander. Parmi les photographes européens, j’admire la force incroyable du travail de Mario Giacomelli. On voit et on sent l’Italie, sa terre, sa matière, son grain, son histoire à travers les paysages et sa façon d’aborder les gens, notamment les personnes âgées.

Act’Image : Si vous aviez un conseil à donner à un jeune photographe, que lui diriez-vous ?
J.-C. Béchet : Si c’est pour gagner sa vie, bon courage ! Il faut d’abord se demander pour qui on fait de la photo. Si c’est une démarche d’auteur, je dirais à un jeune photographe de développer sa culture photographique : voir des livres, des expos, des musées… Aujourd’hui, on ne peut pas faire de photo sans connaître ce qui a été fait avant. C’est la base de la création : trouver ses maîtres pour trouver la famille dans laquelle on se sent le plus à l’aise. Ensuite, il ne faut pas copier mais trouver son langage et pour cela, il faut être obsessionnel, têtu et se demander ce sur quoi on veut travailler : est-ce de la fiction, un projet sur son identité, ses origines, sa famille, le monde extérieur ? Et puis laisser le temps faire son oeuvre. En photographie, on travaille aussi avec sa maturité.

Propos recueillis par Céline Samperez-Bedos